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lundi 25 octobre 2010

"Lobsang Rampa, l'escroc mythomane". Par Paul-Éric Blanrue. Extrait des "Dessous du surnaturel" (Valbonne, 2004).

"Mes pouvoirs d'idéation ne sont pas de ceux qui peuvent permettre d'écrire des choses fictives ou imaginaires ; ma configuration astrologique m'interdit totalement une telle virtuosité cérébrale". 
(Lobsang Rampa)

Quel fut celui qui se dissimulait derrière le nom exotique de Lobsang Rampa ? Un authentique lama tibétain? Un voyant ? Un ancien nazi en quête de respectabilité ? Un charlatan prolixe ? Ces questions n'ont pas attendu la mort de l'écrivain pour se poser. De son vivant déjà, nombreux furent ceux qui s'interrogèrent sur son identité réelle et ses motivations secrètes.

Dans le livre qui fit sa gloire, le premier qu'il écrivit, intitulé Le Troisième Oeil, Rampa relatait comment il avait été initié depuis son plus jeune âge aux mystères des lamas tibétains. Il y racontait qu'il avait été placé dans une lamaserie à l'âge de sept ans, où il avait été remarqué par le dalaï-lama soi-même. Celui-ci, pour renforcer ses dons de voyance, lui avait fait subir une opération du cerveau appelée "ouverture du Troisième Oeil", qui l'avait fait accéder à un plan de conscience supérieur. Rampa était présenté par ses éditeurs comme "diplômé de l'université de médecine de Tchong-k'ing" et porteur du titre (envié) de "lama du monastère de Potala à Lhassa".

Édité en France par Albin Michel dans les premiers mois de 1957, Le Troisième Oeil fut un des plus gros succès de librairie de l'année. "Ce livre va changer votre vie!", lisait-on dans la presse à sensation. Une enquête des Nouvelles littéraires le classa en 13e position, avec 49 000 exemplaires vendus. On estime que sa diffusion dans le monde entier et les articles qui lui ont été consacrés ont touché en quelques mois des millions de personnes.

La célébrité du livre fut telle qu'elle suscita aussitôt des interrogations. On chercha à percer le mystère de la personnalité de son auteur, un sage étrange qui, disait-on, vivait en ermite, loin des yeux de ses admirateurs et de la curiosité du vain peuple. Le résultat de ces recherches ne se fit pas attendre.

Le 1er février 1958 le journal londonien Daily Mail leva un sacré lièvre. On y apprenait qu'un détective privé de Liverpool, Mr. Clifford Burgess, s'était infiltré dans l'entourage immédiat du gourou pour y mener une enquête discrète. La conclusion de ses investigations était sans détour : Le Troisième Oeil n'était qu'une fumeuse supercherie ! Rampa n'était pas celui qu'il prétendait être, son identité était fausse, ses diplômes, du vent et ses voyages initiatiques, le pur produit d'une imagination débordante. Sous couvert de leçons prises chez le "maître", l'enquêteur était parvenu à obtenir des renseignements qui ne laissaient aucun doute sur la nature du personnage : c'était un charlatan patenté. Burgess rapportait les propos (peu équivoques) de l'épouse de Rampa, à propos du Troisième Oeil : "Ce livre, lui avait-elle confié, est une pure invention. Mon mari tâta en vain plusieurs métiers et nous avions besoin d'argent pour vivre!".

La découverte du détective fit l'effet d'une bombe. Aux quatre coins de la planète de nombreux quotidiens s'en emparèrent. Dans l'hexagone, France Soir titra sur quatre colonnes :

L'illustre lama de Dublin (Irlande) auteur d'un livre à succès Le Troisième Oeil, n'était que le fils d'un plombier.

La démystification suivait :

"Dublin a perdu son attraction locale : son lama du Troisième Oeil n'est plus lama, n'est plus tibétain, il s'appelle Cyril Henry Hoskins et c'est le fils d'un plombier. Il était connu sous le nom de Dr Kuan et vivait avec sa femme et l'épouse d'un courtier, Mrs Shelling Roose, dans une villa perchée sur les hauteurs dominant Dublin."

Le fulgurant lama tibétain ? Un fils de plombier bigame qui n'avait jamais quitté l'Angleterre !

Quelle dégringolade !

L'article se poursuivait en plaçant Le Troisième Oeil dans le droit fil des autres mystifications littéraires du siècle :

"La supercherie de Cyril Henry Hoskins-Rampa a des précédents. En 1953, l'écrivain Martin de Hauteclaire recevait le prix Vérité pour son ouvrage Toute la Terre dans lequel il relatait ses héroïques (et imaginaires) exploits d'aviateur en Amérique du sud. Avant la guerre, Séguin dupait le monde littéraire... et des dizaines de milliers de lecteurs avec Un train entre en gare."

"Après tout, concluait le journaliste, si ces habiles faussaires fabriquent de la bonne littérature qu'importe? Alexandre Dumas manipulait, sans plus de scrupule, l'Histoire."

La remarque finale n'était vraie qu'en un sens, Alexandre Dumas n'ayant jamais prétendu écrire autre chose que des oeuvres de fiction. Rampa, d'ailleurs, ne souffrit pas la comparaison. Furieux d'avoir été confondu (ceci s'entendant dans les deux sens du terme), le faux lama répondit à France Soir huit jours plus tard, sur un ton péremptoire et glacé. Il y affirmait être "vraiment un lama, réincarné il y a neuf ans dans le corps d'un Anglais".

Cette réponse abrupte, distillée sans autre précision, était pitoyable. Accusé d'avoir menti sur son identité, Rampa changeait de version, et, comme gage de sa sincérité, en appelait à la réincarnation et au voyage astral. L'homme était aux abois.

Une querelle naquit aussitôt entre partisans et détracteurs. Deux lamas authentiques (eux) se lancèrent dans la bataille. L'un à charge, l'autre à décharge. 



La polémique dura des années. Prudents, les éditeurs français de Rampa ôtèrent la mention "autobiographie d'un lama tibétain" de la couverture du Troisième Oeil en format de poche (coll. "J'ai Lu"). On se rappela opportunément que les éditeurs anglais de la version originale avaient précisé dans leur texte de présentation qu'il leur avait été "difficile d'établir l'authenticité" du manuscrit (doux euphémisme), que l'enquête qu'ils avaient diligentée n'avait débouché sur "aucun résultat positif" et qu'ils concevaient que le livre... "dépasse parfois les limites de la crédulité occidentale"! L'illusionniste Yvon Yva, spécialisé dans la démystification des faux fakirs, ne cachait pas son envie d'éclater de rire : "Il est bien difficile de croire, en voyant une photo de Rampa que ce dernier est d'origine asiatique, écrivit-il. Il y a autant de différence entre M. Rampa et un Tibétain qu'entre un Amérindien et un Zoulou." Il aurait pu ajouter que Rampa avait un accent du Devonshire (la patrie de Mr. Hoskins, à l'Ouest de l'Angleterre) à couper au hachoir et qu'il fuyait comme la peste les représentants de la communauté tibétaine (personne ne l'ayant d'ailleurs, de sa vie, entendu prononcer le moindre mot de tibétain)... 

Rampa persista bec et ongles. Dans un livre modestement intitulé L'Histoire de Rampa (1960), avouant au détour d'une phrase qu'il avait écrit Le Troisième Oeil parce qu'il n'arrivait pas à trouver de travail, le gourou tenta d'expliquer son itinéraire. Il y racontait qu'en juin 1949 le dénommé Cyril Hoskins (c'est-à-dire lui-même), victime d'un accident dans son jardin, avait subi une commotion cérébrale, au cours de laquelle "il perdit tout souvenir de sa vie passée" ; au même moment, "il lui vint la mémoire complète d'un Tibétain, depuis la toute première enfance". Il y avait donc eu prise de possession du corps de l'Anglais par l'esprit du Tibétain, garni de tous ses souvenirs. Miracle!  Preuve de poids garantissant l'exactitude du récit : "Ma femme atteste ici qu'elle s'est rendue compte, à l'époque où cela s'est produit, que mon corps avait été investi par une autre entité" !

Le bougre s'enferrait.
 
Si pour les sceptiques la question était entendue une fois pour toutes, aucun élément déterminant, dans le camp adverse, ne semblait pouvoir départager les opinions antagonistes des spécialistes en matière de lamas. Rien... sauf un livre, intitulé Rampa, imposteur ou initié?, édité en 1973 (Éditions La Presse, Montréal), qui apporta des éléments de réponse nouveaux... et radicaux.

Son auteur, le Québécois Alain Stanké, avait habité pendant un an le même luxueux immeuble que le gourou, à Montréal (Rampa avait quitté l'Angleterre à la suite du scandale provoqué par l'enquête du Daily Mail). Il avait vécu plusieurs années dans son intimité et devint un temps son éditeur et son agent littéraire pour le Canada. Il fut le premier à obtenir de lui un entretien télévisé. Stanké, que l'amitié n'empêchait pas de cultiver le recul critique, avait lui aussi longuement enquêté sur Rampa. Fruit d'une longue maturation, son livre, sans être franchement polémique, dégageait, au fil des pages, un goût amer de désillusion. C'était le parcours chaotique d'un disciple désabusé. Il se terminait par ses mots : "Adieu Lobsang!", ce qui suffisait à expliquer l'état d'esprit de son auteur.

En page 133 et 134, Stanké reproduisait la lettre officielle qu'il avait reçue de Lobsang Wangchuk, secrétaire adjoint du Bureau de "Sa Sainteté le dalaï-lama" (14ème du nom) en personne et qui disait ceci :

"13 octobre 1972

Cher Mr Stanké,

Je reçois votre lettre adressée à Sa Sainteté le dalaï-lama.

Je désire vous informer que nous ne prêtons pas foi aux livres écrits par le dénommé Dr T. Lobsang Rampa.

Ses travaux sont hautement imaginaires et de nature fictive. J'espère que ceci répond à vos questions.

Avec nos meilleurs souhaits", etc.


Les plus hautes instances tibétaines elles-mêmes réfutaient donc l'histoire abracadabrante de Rampa. Le dossier était définitivement clos. Le gourou allait-il enfin avouer son mensonge ? Jamais de la vie! Comme un gamin pris la main dans le pot de confiture, il continua de protester de sa bonne foi et nourrit sa nouvelle version de détails épiques complètement farfelus. Pour lui, "la transmigration" était "un fait" qui ne se discutait pas... La réplique du dalaï-lama ? Elle est montée de toute pièce, :"le dalaï-lama n'a rien dit de tel (...) Un écrivain américain très connu (?) est allé voir le dalaï-lama, en Inde, et il est revenu porteur d'un message (?) m'assurant que lorsque le Tibet serait libéré, le dalaï-lama m'accueillerait au Potala". Du bluff, encore du bluff.

Beaucoup de rumeurs ont circulé sur le compte de Rampa. On a fait courir le bruit (sans rien prouver) qu'il était un ancien nazi du groupe Thulé qui aurait voyagé au Tibet à la demande d'Hitler. On a dit aussi qu'il avait copié Mme Blavatsky, ce qui semble plus probable car sa philosophie se rapproche davantage de la Théosophie que de la métaphysique bouddhiste (qu'il ne connaît que par la lecture des digests à l'usage des occidentaux). Peut-être utilisa-t-il aussi des éléments tirés du best-seller d'Heinrich Harrer (que Jean-Jacques Annaud a d'adapté au cinéma dans "Sept ans au Tibet"). Une chose est sûre : c'était un vil imposteur. Il poussa la bouffonnerie jusqu'à écrire un livre qu'il présenta comme " dicté télépathiquement" par sa chatte, nommée " Mrs Fifi Greywhiskers"!

Depuis la publication du Troisième Oeil, Rampa vécut dans l'aisance matérielle que lui procura sa renommée mondiale. Ses admirateurs gobèrent tout. Ils lui envoyèrent des dons conséquents. Les droits d'auteur de ses livres (18 au total), diffusés et traduits dans le monde entier, lui rapportèrent de coquettes sommes d'argent. La vente des Tranquillizer Touch-Stones (pierres tranquillisantes) et d'un disque sur les bienfaits de la méditation lui assurèrent quelque subside. Télépathe, magnétiseur, astrologue, cartomancien, tarologue, hypnotiseur, graphologue, médium, augure, il fut un véritable V.R.P. du surnaturel, prodiguant conseils spirituels contre rétributions sonnantes. Il influença une ou deux générations d'occultistes en herbe. Lui qui ne mit jamais les pieds au Tibet sut berner des lamas véritables, qui étaient pourtant bien placés pour savoir que "l'opération du troisième oeil" est un conte à dormir debout. En 1972, la supercherie tourna au drame : un jeune étudiant tira sur un de ses professeurs, sur un copain, puis se suicida : l'enquête prouva que Les Secrets de l'Aura de Rampa avait influencé son geste. Le gourou s'en moqua bien, les dollars continuaient d'affluer.

Rampa-l'escroc avait prévu une guerre mondiale pour 1985. Il n'eut pas le temps de se rendre compte de sa bévue, puisqu'il mourut en 1981, à la suite d'une banale crise cardiaque qu'il n'avait pas prévue.

"I lit a candel" (J'ai allumé un flambeau), telle était la devise que Rampa avait inscrite sur son blason. Il serait temps pour notre génération de souffler dessus une bonne fois pour toutes.
 
Paul-Éric Blanrue 

mis en ligne par marcopolo